La commercialisation des fleurs de CBD connaît une expansion significative sur le marché français, tout en évoluant dans un cadre légal complexe et en constante mutation. Entre les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et les adaptations du droit national, les professionnels du secteur doivent naviguer avec précaution. La traçabilité s’impose comme une obligation fondamentale pour tous les acteurs de cette filière émergente. Ce mécanisme de suivi rigoureux, de la production à la vente, constitue non seulement une exigence réglementaire mais représente aussi un gage de qualité pour les consommateurs. Cet examen approfondi des obligations de traçabilité vise à clarifier les responsabilités juridiques des opérateurs et à identifier les meilleures pratiques pour se conformer aux dispositions légales en vigueur.
Le cadre juridique français et européen encadrant les fleurs de CBD
La réglementation des fleurs de CBD en France s’inscrit dans un environnement juridique particulièrement mouvant. L’arrêt « Kanavape » rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 19 novembre 2020 a marqué un tournant décisif en établissant qu’un État membre ne peut interdire la commercialisation du CBD légalement produit dans un autre État membre. Cette décision a contraint la France à revoir sa position initialement restrictive.
Suite à cette jurisprudence européenne, le Conseil d’État français, par une décision du 29 décembre 2021, a invalidé l’arrêté du 30 décembre 2021 qui interdisait la vente de fleurs et feuilles brutes de chanvre. Cette évolution jurisprudentielle a créé un cadre permettant la commercialisation des produits contenant du CBD, sous réserve que leur teneur en THC reste inférieure à 0,3%, conformément au règlement européen.
Distinction légale entre CBD et cannabis psychotrope
La législation opère une distinction fondamentale entre le cannabidiol (CBD), molécule non psychoactive, et le tétrahydrocannabinol (THC), substance psychotrope classée comme stupéfiant. Cette différenciation repose sur plusieurs textes :
- L’arrêté du 30 décembre 2022 qui fixe le seuil légal de THC à 0,3% dans les produits finis
- Le Code de la santé publique, notamment ses articles R.5132-86 et suivants
- Le règlement UE n°1307/2013 concernant les variétés de chanvre autorisées
La conformité aux dispositions européennes exige que les fleurs de CBD commercialisées proviennent exclusivement de variétés de Cannabis sativa L. inscrites au catalogue européen, avec une teneur en THC strictement contrôlée. L’arrêté du 30 décembre 2022 précise que « sont autorisées la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis sativa L. dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0,3 % ».
Le décret n°2022-194 du 17 février 2022 a par ailleurs renforcé le dispositif en créant une procédure spécifique de traçabilité pour les opérateurs du secteur. Ce texte impose une déclaration préalable auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour toute activité liée à la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre.
La conformité avec ces dispositions légales implique pour les professionnels une vigilance constante et l’adoption de procédures rigoureuses de traçabilité, depuis l’origine des graines jusqu’à la commercialisation du produit final. Ces obligations s’inscrivent dans une volonté des autorités de distinguer clairement les produits légaux à base de CBD des substances illicites, tout en garantissant la protection des consommateurs.
Les obligations de traçabilité à l’étape de production
La traçabilité des fleurs de CBD débute dès le stade de la production avec des obligations spécifiques qui incombent aux cultivateurs. Ces exigences visent à garantir l’origine légale et la conformité des plants de chanvre utilisés pour l’extraction du CBD.
Sélection et certification des semences
La première obligation concerne la sélection des semences. Les producteurs doivent impérativement utiliser des variétés inscrites au Catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles de l’Union européenne. Cette liste, mise à jour régulièrement, répertorie les variétés de Cannabis sativa L. dont la teneur en THC ne dépasse pas 0,3%. L’utilisation de semences certifiées constitue une exigence légale incontournable.
Pour attester de cette conformité, les cultivateurs doivent conserver :
- Les factures d’achat des semences
- Les certificats de conformité délivrés par les fournisseurs
- Les étiquettes officielles présentes sur les emballages de semences
Ces documents constituent la première étape de la chaîne de traçabilité et doivent être conservés pendant une durée minimale de cinq ans, conformément aux dispositions du règlement d’exécution (UE) 2016/1842.
Déclarations administratives obligatoires
Avant même de commencer la culture, les producteurs doivent effectuer plusieurs démarches administratives. Le décret n°2022-194 du 17 février 2022 impose une déclaration préalable auprès de l’ANSM. Cette déclaration doit préciser :
– L’identification complète du déclarant (personne physique ou morale)
– La localisation précise des parcelles cultivées
– Les variétés utilisées et leur provenance
– La superficie cultivée
– L’utilisation prévue des récoltes
Parallèlement, une déclaration doit être effectuée auprès de la Direction Départementale des Territoires (DDT) du lieu de culture. Cette formalité s’inscrit dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) et permet aux autorités de contrôler la légalité des cultures.
Registre de culture et suivi des parcelles
Le producteur est tenu de mettre en place un registre de culture détaillé qui documentera l’ensemble des opérations réalisées sur chaque parcelle. Ce registre doit comporter :
– Les dates de semis et de récolte
– Les interventions phytosanitaires éventuelles
– Les analyses de teneur en cannabinoïdes réalisées
– Les volumes récoltés et leur destination
La tenue rigoureuse de ce registre permet d’assurer la traçabilité complète de la production et constitue un élément probant en cas de contrôle. Les analyses de teneur en cannabinoïdes revêtent une importance particulière car elles doivent être réalisées par des laboratoires accrédités et permettent de vérifier que le taux de THC reste bien inférieur au seuil légal de 0,3%.
Les producteurs doivent par ailleurs mettre en place un système d’identification des lots qui permettra de suivre chaque production tout au long de la chaîne logistique. Cette identification doit comporter au minimum :
– Un numéro de lot unique
– La date de récolte
– La variété cultivée
– La parcelle d’origine
L’ensemble de ces mesures vise à garantir que seules des fleurs de CBD issues de variétés légales, cultivées dans des conditions conformes à la réglementation, puissent être mises sur le marché. La responsabilité du producteur est engagée quant à la légalité des produits qu’il fournit aux transformateurs et distributeurs, d’où l’importance capitale de ces obligations de traçabilité à l’étape initiale de la chaîne.
La traçabilité dans la chaîne d’approvisionnement et de transformation
La chaîne d’approvisionnement et de transformation constitue une étape charnière où la traçabilité doit être maintenue avec une rigueur particulière. Les opérateurs intervenant dans ces phases doivent mettre en place des procédures spécifiques pour garantir la conformité légale des produits.
Obligations documentaires lors de l’acquisition des matières premières
Tout acteur acquérant des fleurs de CBD en tant que matière première doit exiger et conserver une documentation complète. Cette exigence découle du règlement (CE) n°178/2002 établissant les principes généraux de la législation alimentaire, qui s’applique par extension aux produits à base de chanvre. Les documents à obtenir comprennent :
- Les certificats d’origine attestant de la variété cultivée
- Les résultats d’analyses confirmant une teneur en THC inférieure à 0,3%
- Les déclarations de conformité signées par le fournisseur
- Les bons de livraison et factures détaillant les lots concernés
Ces documents doivent être archivés pendant une durée minimale de cinq ans et doivent pouvoir être présentés sur demande aux autorités compétentes. Le règlement d’exécution (UE) 2021/1165 précise ces obligations d’archivage pour les opérateurs du secteur.
Système d’identification et de suivi des lots
Les transformateurs doivent impérativement mettre en place un système de traçabilité interne permettant de suivre les produits à chaque étape de leur transformation. Ce système repose sur :
– L’attribution d’un numéro d’identification unique pour chaque lot entrant
– La documentation précise des opérations de transformation subies par chaque lot
– L’enregistrement des mélanges éventuels entre différents lots
– La conservation d’échantillons témoins pour chaque lot transformé
La norme ISO 22005:2007 fournit des lignes directrices pour la mise en place de tels systèmes de traçabilité. Bien que son application ne soit pas obligatoire, elle constitue une référence utile pour les opérateurs soucieux de respecter leurs obligations légales.
Analyses et contrôles qualité obligatoires
La transformation des fleurs de CBD nécessite des contrôles réguliers pour s’assurer que les produits restent conformes aux exigences légales. Ces analyses doivent être réalisées par des laboratoires accrédités selon la norme ISO/IEC 17025. Elles doivent porter sur :
– La teneur en cannabinoïdes (THC, CBD, CBG, etc.)
– La présence éventuelle de contaminants (pesticides, métaux lourds, mycotoxines)
– Les caractéristiques microbiologiques du produit
Les résultats de ces analyses doivent être documentés et conservés dans le cadre du système de traçabilité. Ils constituent un élément fondamental pour garantir la sécurité des consommateurs et la conformité légale des produits.
La directive 2001/95/CE relative à la sécurité générale des produits impose par ailleurs une obligation de vigilance permanente. Les transformateurs doivent mettre en place des procédures permettant d’identifier et de retirer rapidement du marché tout produit qui s’avérerait non conforme. Cette capacité de réaction repose entièrement sur l’efficacité du système de traçabilité mis en place.
Pour les produits importés, des obligations supplémentaires s’appliquent. L’importateur doit vérifier que le fournisseur étranger respecte les exigences de traçabilité équivalentes à celles en vigueur dans l’Union européenne. Il doit notamment s’assurer que :
– Les variétés utilisées figurent bien au Catalogue européen
– Les analyses de teneur en THC ont été réalisées selon des méthodes reconnues
– La documentation d’accompagnement est complète et authentique
L’ensemble de ces mesures vise à garantir une traçabilité ininterrompue tout au long de la chaîne de valeur, depuis le producteur jusqu’au consommateur final. Cette continuité dans le suivi des produits constitue la pierre angulaire de la conformité légale dans le secteur des fleurs de CBD.
Les exigences de traçabilité à la vente et la distribution
Au stade final de la chaîne, les distributeurs et détaillants sont soumis à des obligations spécifiques de traçabilité pour garantir la légalité des fleurs de CBD proposées aux consommateurs. Ces exigences s’articulent autour de plusieurs axes fondamentaux.
Documentation et affichage obligatoires
Les commerçants commercialisant des fleurs de CBD doivent disposer d’une documentation complète pour chaque produit proposé à la vente. Le Code de la consommation, notamment dans ses articles L.111-1 et suivants, impose une obligation d’information précontractuelle du consommateur. Cette documentation doit comprendre :
- Les certificats d’analyses démontrant une teneur en THC inférieure à 0,3%
- Les fiches techniques détaillant la composition du produit
- Les documents de traçabilité permettant de remonter jusqu’au producteur
Ces informations doivent être accessibles sur demande du consommateur ou des autorités de contrôle. Par ailleurs, l’arrêté du 31 mai 2021 relatif à l’étiquetage des produits contenant des cannabinoïdes impose des mentions spécifiques qui doivent figurer sur les emballages, notamment :
– La mention « Teneur en THC inférieure à 0,3% »
– L’identification du lot de production
– Les coordonnées du responsable de la mise sur le marché
– La mention « La consommation de ce produit est déconseillée aux femmes enceintes et allaitantes »
Registre des entrées et sorties
Les distributeurs sont tenus de mettre en place un registre des entrées et sorties permettant de suivre avec précision les flux de produits. Ce registre, exigé par le décret n°2022-194 du 17 février 2022, doit mentionner :
– La date de réception des produits
– L’identification du fournisseur
– Les numéros de lots concernés
– Les quantités reçues
– Les dates et volumes des ventes réalisées
Ce registre constitue un outil fondamental de traçabilité et doit être conservé pendant une durée minimale de cinq ans. Il permet d’établir un lien direct entre les produits vendus et leur origine, facilitant ainsi les contrôles et, le cas échéant, les procédures de rappel.
Procédures de rappel et gestion des non-conformités
Conformément aux exigences du règlement (CE) n°178/2002, les distributeurs doivent mettre en place des procédures permettant de retirer rapidement du marché tout produit qui s’avérerait non conforme. Ces procédures doivent prévoir :
– L’identification précise des lots concernés
– La notification aux autorités compétentes
– L’information des consommateurs
– Les modalités de retour ou de destruction des produits
La capacité à mettre en œuvre efficacement ces procédures repose entièrement sur la qualité du système de traçabilité. Les distributeurs doivent donc s’assurer que leur système permet d’identifier rapidement l’ensemble des produits concernés par une éventuelle non-conformité.
Dans le cadre de leurs obligations, les détaillants doivent par ailleurs se soumettre à des contrôles réguliers de leurs stocks. Ces contrôles, qui peuvent être réalisés par des organismes indépendants, visent à vérifier la conformité des produits et l’exactitude des informations de traçabilité.
L’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) et la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) sont habilitées à effectuer des contrôles inopinés dans les points de vente. Ces contrôles peuvent porter sur :
– La conformité des produits aux exigences légales
– La présence et l’exactitude de la documentation de traçabilité
– Le respect des obligations d’information des consommateurs
Les sanctions encourues en cas de manquement à ces obligations peuvent être sévères, allant de la saisie des produits à des amendes administratives, voire des poursuites pénales en cas de fraude caractérisée.
La mise en place d’un système de traçabilité robuste constitue donc non seulement une obligation légale mais aussi une protection pour les distributeurs, leur permettant de démontrer leur bonne foi et leur conformité aux exigences réglementaires.
Perspectives d’évolution et recommandations pratiques
Le cadre réglementaire encadrant les fleurs de CBD continue d’évoluer, tant au niveau national qu’européen. Face à ces mutations, les acteurs de la filière doivent non seulement se conformer aux obligations actuelles mais aussi anticiper les évolutions futures et adopter les meilleures pratiques pour sécuriser leur activité.
Évolutions réglementaires prévisibles
Plusieurs tendances se dessinent quant à l’avenir de la réglementation des produits à base de CBD. Au niveau européen, la Commission européenne a engagé une réflexion sur l’harmonisation des règles applicables aux produits contenant des cannabinoïdes. Cette réflexion pourrait aboutir à :
- Un règlement spécifique concernant les produits à base de CBD
- Une modification du règlement Novel Food pour clarifier le statut des extraits de chanvre
- Un renforcement des exigences de traçabilité et de contrôle qualité
En France, plusieurs projets sont à l’étude pour renforcer l’encadrement de la filière. Le ministère de l’Agriculture travaille notamment sur un projet de décret visant à créer un statut spécifique pour les cultivateurs de chanvre destiné à la production de CBD. Ce texte prévoirait des obligations renforcées en matière de traçabilité, notamment :
– La mise en place d’un système de certification des semences
– L’obligation de réaliser des analyses à chaque étape de la production
– La création d’une base de données nationale centralisant les informations de traçabilité
Ces évolutions témoignent d’une volonté des pouvoirs publics de structurer et de professionnaliser la filière, tout en garantissant un niveau élevé de protection des consommateurs.
Technologies innovantes au service de la traçabilité
Face aux exigences croissantes en matière de traçabilité, les technologies numériques offrent des solutions prometteuses. La technologie blockchain représente une avancée majeure dans ce domaine, permettant de créer un registre immuable et transparent des transactions. Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour, proposant des solutions spécifiques pour la filière CBD :
– Des plateformes de certification utilisant la blockchain pour garantir l’authenticité des produits
– Des systèmes de QR codes permettant aux consommateurs d’accéder à l’ensemble des informations de traçabilité
– Des solutions de suivi en temps réel des produits tout au long de la chaîne logistique
Ces technologies présentent l’avantage de sécuriser les données de traçabilité tout en les rendant facilement accessibles. Elles répondent ainsi à une double exigence de conformité réglementaire et de transparence vis-à-vis des consommateurs.
Les systèmes d’information géographique (SIG) constituent une autre innovation pertinente, permettant de cartographier précisément les parcelles de production et de suivre leur évolution dans le temps. Couplés à des capteurs connectés, ces systèmes peuvent fournir des données précieuses sur les conditions de culture et contribuer à la qualité de la traçabilité.
Recommandations pour une traçabilité optimale
Pour les acteurs de la filière CBD, la mise en place d’un système de traçabilité efficace représente un enjeu stratégique. Plusieurs recommandations peuvent être formulées à cet égard :
1. Adopter une approche intégrée : La traçabilité doit être conçue comme un processus continu, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur. Il est recommandé de mettre en place un système unique, partagé par tous les intervenants, plutôt que des solutions fragmentées.
2. Investir dans la formation : La qualité d’un système de traçabilité dépend largement des compétences des personnes qui l’utilisent. Une formation adéquate du personnel à tous les niveaux est donc primordiale.
3. Anticiper les contrôles : Les opérateurs ont tout intérêt à mettre en place des procédures d’auto-contrôle régulières, permettant d’identifier et de corriger les éventuelles non-conformités avant les contrôles officiels.
4. Documenter les procédures : L’ensemble des procédures de traçabilité doit être formalisé dans des documents clairs et accessibles, régulièrement mis à jour pour tenir compte des évolutions réglementaires.
5. Privilégier la transparence : Au-delà des obligations légales, la transparence vis-à-vis des consommateurs constitue un atout commercial non négligeable. Les opérateurs peuvent valoriser leurs efforts en matière de traçabilité comme un argument de qualité.
La mise en œuvre de ces recommandations permettra aux acteurs de la filière non seulement de se conformer aux exigences réglementaires actuelles, mais aussi d’anticiper les évolutions futures et de se positionner favorablement sur un marché en pleine structuration.
L’adaptation aux exigences de traçabilité représente certes un investissement, mais elle constitue avant tout une garantie de pérennité pour les entreprises du secteur. Dans un contexte où la réglementation tend à se renforcer, seuls les opérateurs capables de démontrer rigoureusement la légalité de leurs produits pourront maintenir durablement leur activité.

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