La loi du 15 janvier 2025 relative à la modernisation des baux ruraux marque une transformation profonde du régime juridique encadrant les relations entre propriétaires et exploitants agricoles. Cette réforme, fruit de trois années de concertations, répond aux défis contemporains de l’agriculture française : transition écologique, renouvellement générationnel et adaptation aux marchés mondialisés. Le texte modifie substantiellement le statut du fermage établi depuis 1945, avec un double objectif de sécurisation des exploitants et de valorisation du patrimoine foncier. Les nouvelles dispositions entreront progressivement en vigueur entre juin 2025 et janvier 2026, impactant plus de 80% des surfaces agricoles françaises.
Les nouvelles modalités de conclusion et de transmission des baux ruraux
La réforme institue un formalisme renforcé pour la conclusion des baux ruraux. Désormais, tout contrat de bail rural devra être établi par écrit et enregistré auprès de la chambre d’agriculture départementale dans un délai de deux mois suivant sa signature. Cette obligation vise à réduire les contentieux liés aux baux verbaux, qui représentaient jusqu’alors près de 30% des litiges portés devant les tribunaux paritaires des baux ruraux.
Le contenu obligatoire du bail s’enrichit considérablement. Outre les mentions traditionnelles (désignation des parties, description des biens loués, montant du fermage), le législateur impose désormais l’inclusion d’un état des lieux environnemental détaillant les caractéristiques écologiques de la parcelle : présence de zones humides, haies, biodiversité remarquable. Ce document, établi contradictoirement, servira de référence pour évaluer l’évolution de la qualité environnementale du bien pendant la durée du bail.
La transmission des baux bénéficie d’un cadre juridique modernisé. Le droit de cession au profit des descendants est élargi aux partenaires de PACS et aux descendants jusqu’au troisième degré, sous réserve que le cessionnaire participe effectivement à l’exploitation depuis au moins trois ans. Cette extension répond à l’évolution des structures familiales et facilite la transmission intergénérationnelle des exploitations.
La réforme introduit par ailleurs une innovation majeure avec la création du bail rural de transition. D’une durée de cinq à sept ans, ce nouveau contrat s’adresse spécifiquement aux exploitants proches de la retraite souhaitant transmettre progressivement leur activité. Il comporte obligatoirement une phase de tuilage pendant laquelle le cédant accompagne le repreneur, avec un mécanisme de réduction progressive du fermage pour le cédant et d’augmentation pour le repreneur. Cette formule bénéficie d’avantages fiscaux significatifs, notamment une exonération partielle des plus-values professionnelles pour le cédant.
L’intégration des impératifs environnementaux dans le régime des baux ruraux
La dimension environnementale constitue l’axe central de la réforme avec l’introduction du bail rural environnemental renforcé (BRER). Ce dispositif, qui succède au bail environnemental créé en 2006, élargit considérablement les possibilités d’inclure des clauses environnementales contraignantes. Alors que l’ancien dispositif limitait cette faculté à certains bailleurs ou zones protégées, tout propriétaire peut désormais proposer un BRER, moyennant une réduction du fermage proportionnelle aux contraintes imposées, plafonnée à 30% du barème préfectoral.
Les clauses environnementales autorisées sont précisées par décret et couvrent un spectre élargi d’engagements :
- Maintien des infrastructures écologiques (haies, mares, zones humides) et création obligatoire de corridors biologiques sur 7% minimum de la surface
- Limitations quantifiées d’intrants chimiques et obligation de pratiques alternatives (biocontrôle, désherbage mécanique)
En contrepartie de ces engagements, le preneur bénéficie d’un accès prioritaire aux aides agroenvironnementales et d’un accompagnement technique par les chambres d’agriculture. Le non-respect des clauses environnementales constitue désormais un motif autonome de résiliation du bail, après mise en demeure restée infructueuse pendant une saison culturale.
La réforme introduit également le concept novateur de servitude environnementale temporaire. Ce mécanisme juridique permet au propriétaire d’imposer certaines pratiques vertueuses (maintien de prairies permanentes, zones de non-traitement élargies) pour une durée déterminée, transcendant le bail en cours et s’imposant aux preneurs successifs. Cette servitude, inscrite au fichier immobilier, ouvre droit à une réduction de la taxe foncière sur les propriétés non bâties de 50% pendant sa durée d’application.
Le texte consacre par ailleurs le droit d’initiative agroécologique du preneur. Ce dernier peut désormais engager, sans autorisation préalable du bailleur, des transformations visant à améliorer la durabilité de son système de production (plantations de haies, installation de systèmes agroforestiers) dans la limite de 10% de la surface louée. Ces aménagements, considérés comme des améliorations culturales, donnent lieu à indemnisation en fin de bail selon un barème départemental révisé.
La révision du régime économique et financier des baux ruraux
La réforme opère une refonte significative du régime économique des baux ruraux, avec pour objectif de concilier rentabilité du capital foncier et viabilité économique des exploitations. Le mode de calcul du fermage est profondément modifié, abandonnant l’indexation sur le revenu brut d’entreprise agricole national au profit d’un nouvel indice composite intégrant l’évolution des prix agricoles (40%), l’indice du coût de la construction (30%) et l’inflation (30%).
Cette nouvelle formule, applicable dès septembre 2025, vise à mieux refléter la réalité économique des exploitations tout en garantissant aux propriétaires une évolution plus régulière de leurs revenus locatifs. Les minima et maxima départementaux seront révisés dans les six mois suivant la publication de la loi, avec une augmentation moyenne attendue de 8 à 12% des plafonds pour tenir compte de la valorisation du foncier agricole observée depuis dix ans.
La réforme introduit une modulation obligatoire du fermage selon des critères qualitatifs plus précis. Au-delà des caractéristiques agronomiques traditionnelles, le barème préfectoral devra désormais intégrer des facteurs comme l’accessibilité à l’eau, la présence d’infrastructures de stockage ou la proximité des zones de collecte. Cette approche plus fine permettra une meilleure adéquation entre le loyer et la valeur productive réelle des terres.
Le régime des améliorations et investissements est substantiellement revu. Le preneur obtient une liberté accrue pour réaliser des aménagements nécessaires à son activité, avec un simple régime de déclaration préalable pour les investissements inférieurs à 15 000 euros. En contrepartie, la réforme instaure un mécanisme de partage de la plus-value en fin de bail : les investissements majorant durablement la valeur locative du bien donneront lieu à une indemnisation calculée selon une formule tenant compte de l’amortissement et de la plus-value résiduelle.
La question épineuse des bâtiments d’exploitation trouve une réponse équilibrée. Le bailleur pourra désormais proposer un « bail à amélioration » permettant au preneur de rénover ou construire des bâtiments moyennant une exonération partielle ou totale de fermage pendant la durée des travaux. À l’expiration du bail, le preneur pourra soit démanteler les constructions, soit les céder au propriétaire contre indemnisation, soit bénéficier d’un droit de prolongation automatique du bail pour une durée proportionnelle à l’investissement réalisé.
La prévention et la résolution des conflits entre bailleurs et preneurs
La réforme renforce les mécanismes de prévention et de résolution des litiges, avec l’ambition de déjudiciariser autant que possible les relations entre bailleurs et preneurs. L’innovation majeure réside dans la création d’une commission départementale de conciliation des baux ruraux (CDCBR), instance paritaire composée de représentants des propriétaires et des fermiers. Cette commission devra obligatoirement être saisie avant toute action judiciaire, à peine d’irrecevabilité.
La CDCBR disposera de pouvoirs étendus pour rechercher une solution amiable dans un délai maximal de trois mois. Elle pourra notamment proposer une médiation agricole spécialisée, dont le coût sera pris en charge à 80% par un fonds national dédié. Les accords conclus sous son égide auront force exécutoire après homologation par le président du tribunal paritaire des baux ruraux, selon une procédure simplifiée.
Les motifs de résiliation du bail sont clarifiés et hiérarchisés. La réforme distingue désormais trois catégories d’infractions aux obligations du preneur :
- Les manquements graves justifiant une résiliation immédiate (non-paiement répété du fermage, cession illicite, changement de destination des terres)
- Les infractions intermédiaires donnant lieu à mise en demeure préalable (défaut d’entretien, non-respect des clauses environnementales)
Le texte innove également en instaurant un droit de préemption inversé au profit du bailleur. Lorsque le preneur envisage de céder son exploitation à un tiers, le propriétaire pourra désormais se porter acquéreur prioritaire des éléments d’exploitation autres que le foncier (cheptel, matériel, stocks), à condition de s’engager à maintenir l’activité agricole pendant au moins neuf ans, personnellement ou via un nouveau fermier. Ce mécanisme vise à faciliter la reprise en faire-valoir direct par les propriétaires souhaitant s’impliquer dans l’agriculture.
En matière de contentieux, la réforme modernise la procédure devant les tribunaux paritaires des baux ruraux. Elle introduit une audience préliminaire obligatoire dédiée à la mise en état du dossier et à une ultime tentative de conciliation. Les magistrats bénéficieront par ailleurs d’une formation spécifique aux enjeux agricoles contemporains, dispensée conjointement par l’École nationale de la magistrature et l’enseignement supérieur agronomique.
Les dispositifs transitoires et l’articulation avec les autres régimes juridiques agricoles
La mise en œuvre de cette réforme d’ampleur nécessite un régime transitoire soigneusement calibré pour garantir la sécurité juridique des contrats en cours tout en permettant une application progressive des nouvelles dispositions. Le législateur a opté pour une approche différenciée selon les aspects de la réforme.
Concernant les baux en cours, le principe général est celui de la survie de la loi ancienne jusqu’au premier renouvellement suivant l’entrée en vigueur de la réforme. Toutefois, certaines dispositions s’appliqueront immédiatement aux contrats existants : le nouveau mode de calcul du fermage (dès le terme annuel suivant la publication des arrêtés préfectoraux révisés), les règles relatives aux investissements du preneur et le dispositif de conciliation préalable obligatoire.
La réforme prévoit un mécanisme d’adaptation conventionnelle permettant aux parties de mettre volontairement leur bail en conformité avec les nouvelles dispositions avant son renouvellement. Cette démarche, formalisée par un avenant enregistré, sera encouragée par un crédit d’impôt spécifique pour le bailleur (10% du montant du fermage annuel) et une réduction des droits d’enregistrement.
L’articulation avec les autres régimes juridiques agricoles est précisément définie. Les interactions avec le contrôle des structures sont clarifiées : l’autorisation d’exploiter délivrée au preneur conditionnera désormais la validité même du bail, et non plus seulement sa mise en œuvre. Cette disposition renforce considérablement l’effectivité de la politique des structures.
S’agissant des baux consentis par les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), la réforme leur confère un statut particulier. Ces baux, conclus dans l’attente d’une rétrocession définitive des terres, pourront déroger au statut du fermage sur certains points (durée minimale, droit au renouvellement) tout en garantissant au preneur temporaire une indemnisation forfaitaire en cas de non-attribution définitive du bien.
Enfin, la réforme institue un observatoire national des baux ruraux, placé sous l’égide du Conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole. Cet organisme paritaire sera chargé d’évaluer l’application de la réforme, de collecter des données statistiques sur les pratiques contractuelles et de proposer d’éventuels ajustements législatifs ou réglementaires. Il publiera un rapport annuel permettant de suivre l’évolution des relations entre bailleurs et preneurs dans le contexte de cette refonte majeure du droit rural.

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